Crise de gouvernance en Ukraine : le ministre de la Justice German Galushchenko suspendu dans un scandale de corruption majeure
Le ministre ukrainien de la Justice suspendu pour corruption dans le secteur énergétique. Système de pots-de-vin de 100M$. Timur Mindich, proche de Zelensky, accusé. Enjeu pour l'adhésion UE.
Stephane Chevalier
11/13/20253 min read


L’Ukraine est secouée par une vaste affaire de corruption qui atteint les plus hautes sphères du pouvoir, en pleine guerre contre la Russie. Ce scandale représente un défi politique majeur pour la présidence de Volodymyr Zelensky. Mercredi 11 novembre, le gouvernement ukrainien a pris une mesure exceptionnelle en suspendant son ministre de la Justice, German Galushchenko, pour son implication présumée dans un système de pots-de-vin dans le secteur énergétique.
L’enquête, menée conjointement par le Parquet national anticorruption (SAPO) et le Bureau national de lutte contre la corruption (NABU), porte sur un système de pots-de-vin présumés d’un montant de 100 millions de dollars, soit environ 86 millions d’euros. German Galushchenko, ancien ministre de l’Énergie avant de prendre la tête du ministère de la Justice, a été suspendu par la Première ministre Ioulia Svyrydenko. Le SAPO l’accuse d’avoir perçu des « avantages personnels » en échange d’un contrôle sur les flux financiers du secteur énergétique. Pendant la durée de l’enquête, la vice-ministre de la Justice, Lioudmyla Sougak, assurera l’intérim.
Les autorités ukrainiennes ont déjà inculpé sept personnes dans le cadre de cette affaire, dont cinq ont été arrêtées. Le système aurait été orchestré par l’homme d’affaires Timur Mindich, décrit comme un proche allié du président Zelensky. Copropriétaire du studio de production télévisuelle Kvartal 95, fondé par Zelensky lui-même, Mindich est accusé d’avoir organisé un réseau de corruption visant à contrôler l’accumulation, la distribution et la légalisation de fonds d’origine criminelle dans le secteur énergétique. Selon les enquêteurs, il aurait profité de ses relations privilégiées avec le président ukrainien pour étendre son influence. Il aurait quitté l’Ukraine peu avant la perquisition de son domicile.
L’organisation criminelle ciblait en particulier l’entreprise publique du nucléaire, Energoatom. Les entrepreneurs travaillant avec cette société étaient contraints de verser une commission illégale de 10 à 15 % pour maintenir leurs contrats, sous peine de retards de paiement ou de ruptures de collaboration. À la suite de ces révélations, le gouvernement a révoqué le conseil de surveillance d’Energoatom.
La suspension de Galushchenko a provoqué une réaction politique rapide au plus haut niveau de l’État. Le ministre suspendu a publiquement approuvé cette décision, la qualifiant de « mesure civilisée et appropriée » durant l’enquête, tout en affirmant vouloir se défendre devant la justice. Le président Zelensky, de son côté, a demandé la démission du ministre de la Justice et de la ministre de l’Énergie, estimant que leur maintien en poste posait une « question de confiance ». La ministre de l’Énergie, Svitlana Hryntchouk, a depuis présenté sa démission, tout en niant toute violation de la législation dans le cadre de ses fonctions.
Ce scandale est particulièrement délicat dans un contexte où le gouvernement ukrainien fait face à des critiques croissantes sur la centralisation du pouvoir et sur l’usage présumé du système judiciaire pour intimider les opposants et les voix critiques. Il constitue un test majeur pour la présidence Zelensky, qui doit concilier la rigueur de la gouvernance en temps de guerre avec l’exigence de transparence démocratique attendue par ses partenaires occidentaux.
Le moment choisi renforce l’indignation du public ukrainien. Les accusations de pots-de-vin sont d’autant plus explosives que la population subit des coupures d’électricité prolongées, conséquence des attaques massives de la Russie contre les infrastructures énergétiques du pays à l’approche de l’hiver. Dans un tel contexte, la révélation d’une corruption interne dans le secteur de l’énergie apparaît comme une trahison intolérable pour une population déjà éprouvée.
Ce scandale représente également un risque politique pour l’Ukraine sur la scène internationale. La lutte contre la corruption reste une condition essentielle pour la candidature du pays à l’Union européenne. Si Bruxelles a salué les progrès réalisés depuis 2014, la Commission européenne a récemment averti que les « progrès limités » dans ce domaine pourraient compromettre les espoirs à long terme d’intégration.
Cette affaire illustre la ligne de crête sur laquelle se trouve aujourd’hui l’Ukraine : maintenir la centralisation du pouvoir nécessaire à la conduite de la guerre, tout en poursuivant les réformes démocratiques indispensables à son avenir européen. Chaque scandale de ce type fragilise la confiance du public, met à l’épreuve la crédibilité de l’État et complique un peu plus le chemin vers l’intégration européenne.