Quand la Génération Z fait trembler les gouvernements
La Génération Z se mobilise massivement au Maroc, Népal et Madagascar contre la corruption et les inégalités. Organisation via réseaux sociaux, répression violente, revendications profondes. de l'article de blog :
Stephane Chevalier
10/2/20254 min read


La Génération Z est en train de bousculer les pouvoirs établis à travers le monde, marquant un phénomène inédit dans l'histoire politique contemporaine. Les jeunes nés entre la fin des années 1990 et le début des années 2010 ne se contentent plus d'observer : ils agissent. Cette vague de soulèvements, qui trouve ses racines en Asie du Sud-Est, s'est propagée au Népal, à Madagascar, au Maroc et au Pérou, portée par un dénominateur commun d'une puissance redoutable : le ras-le-bol face à la corruption, aux inégalités sociales et à l'inefficacité des services publics.
Au Maroc, c'est un drame qui a servi de déclencheur. La mort de huit femmes enceintes dans un hôpital public d'Agadir, faute de soins adaptés, a révélé au grand jour les failles d'un système de santé publique en crise, pendant que le secteur privé demeure réservé aux plus aisés. Le collectif GenZ 212, référence directe à l'indicatif téléphonique du pays, s'est mobilisé massivement pour dénoncer ce qu'ils appellent les « priorités mal placées » du gouvernement. Leur colère se cristallise autour d'un paradoxe insupportable : tandis que les hôpitaux manquent de moyens vitaux, le royaume investit 9,5 milliards de dirhams pour rénover six stades et 5 milliards pour construire le Grand Stade de Casablanca en vue de la Coupe d'Afrique des Nations et du Mondial 2030. Cette indignation trouve un écho particulier dans une jeunesse frappée de plein fouet par le chômage : 36,7% des Marocains de 15 à 24 ans sont sans emploi en 2024, y compris parmi les diplômés. Sur les banderoles et dans les chants, un slogan revient inlassablement : « Le peuple veut mettre fin à la corruption ! »
La situation n'est guère différente ailleurs. Au Népal, confrontée à un taux de chômage vertigineux, la jeunesse est descendue massivement dans la rue pour dénoncer la corruption endémique et l'enrichissement scandaleux des élites. La contestation a été si puissante qu'elle a entraîné la chute du gouvernement en deux jours seulement, témoignant d'une détermination sans précédent. À Madagascar, où 75% de la population vit sous le seuil de pauvreté, des milliers de manifestants dénoncent les coupures incessantes d'eau et d'électricité. Mais leur colère va bien au-delà des simples défaillances infrastructurelles : ils ciblent directement une « corruption systémique au sein des institutions » dans un pays classé parmi les plus corrompus d'Afrique. Les revendications y dépassent largement la question des services publics pour exiger la fin des monopoles économiques et le départ des gouvernants jugés corrompus.
Ce qui distingue fondamentalement ces mouvements des révoltes précédentes, c'est leur mode d'organisation. La Génération Z a inventé de nouvelles formes de mobilisation en réseau, nées spontanément sur les réseaux sociaux et fonctionnant selon un modèle horizontal et résolument apolitique. Les manifestants adoptent une stratégie flexible et adaptable, sans commandement centralisé, rappelant le style « be water » popularisé lors des manifestations de Hong Kong. Des plateformes comme Discord et Telegram, habituellement privilégiées par les gamers, jouent désormais un rôle central dans l'organisation en temps réel, rendant la mobilisation à la fois rapide et peu coûteuse. Au Népal, Discord a même servi à former l'opinion publique et à désigner les représentants qui ont participé aux dialogues pour la nomination d'un nouveau Premier ministre par intérim.
Un symbole particulièrement frappant de cette contestation transnationale a émergé : le drapeau pirate du manga japonais One Piece. Ce choix n'a rien d'anodin. Pour ces jeunes manifestants, le personnage principal Luffy, qui voyage de royaume en royaume pour libérer les habitants de dirigeants tyranniques et corrompus, reflète avec une justesse troublante leur propre combat. Ce drapeau est devenu un étendard de ralliement international, aperçu du Maroc à Madagascar, et même lors de manifestations syndicales à Marseille, illustrant la dimension véritablement globale de cette révolte générationnelle.
Face à ces mobilisations, la réponse des autorités a été marquée par une répression souvent brutale. Au Maroc, les heurts ont fait 263 blessés parmi les forces de sécurité et 23 civils, tandis que 409 personnes ont été placées en garde à vue. Des défenseurs des droits humains dénoncent ces interventions comme une violation du droit de réunion pacifique. À Madagascar, le bilan est encore plus lourd : la contestation a fait au moins 22 morts selon l'ONU, avec des tirs de balles en caoutchouc et un usage massif de gaz lacrymogène. Au Népal, la répression a atteint des sommets de violence avec au moins 19 morts par balles réelles et, plus largement, 73 décès durant les violences concentrées entre le 8 et le 9 septembre.
Pour tenter d'apaiser la colère, certains gouvernements ont consenti à des mesures symboliques : le limogeage du directeur de l'hôpital d'Agadir au Maroc, le renvoi du gouvernement à Madagascar. Mais ces concessions sont perçues comme largement insuffisantes. Les manifestants malgaches, en particulier, se méfient de toute récupération politique et estiment que ces annonces ne répondent pas à la profondeur de leurs revendications.
La Génération Z, longtemps étiquetée comme passive et dépolitisée, est en train de prouver le contraire avec une force remarquable. Que ce soit au Pérou, où les protestations s'inscrivent dans un contexte inquiétant de « repli démocratique », ou au Maroc, où le mouvement GenZ 212 réclame « la dignité et les droits légitimes pour chaque citoyen », cette jeunesse exprime une volonté réelle de rupture avec les systèmes en place. Selon plusieurs observateurs, même si l'intensité des mobilisations varie dans le temps, cette grogne ne cessera pas. Le fait que les jeunes osent s'exprimer n'est certes pas nouveau, mais leur colère s'intensifie face à l'échec patent de la méritocratie et à la fermeture des horizons. L'avenir de ces pays dépendra fondamentalement de la capacité de leurs autorités à écouter véritablement les demandes de leur jeunesse et à institutionnaliser des réformes profondes. Sans cela, le risque est grand de voir ces nations sombrer dans un cycle durable de violences et d'instabilité, alimenté par une génération qui n'a plus rien à perdre et tout à gagner.